Le géant Périférigérilérimini

par Charles Perrault

Deux petites filles et leur jeune frère, nommés Suzette, Isaure et Charlot, demandèrent un jour à leur maman la permission d'aller se promener dans la Grand'Rue.
« Je le veux bien, leur dit leur maman ; mais c'est à condition que vous n'entrerez pas dans le bois qui est au bout ; car, vous savez, on vous l'a souvent dit, qu'il apparait quelquefois, dans ce bois, un géant terrible, nommé Périférigérilérimini, qui emporte les petits enfants dans son antre sauvage, où il les mange. Prenez-y bien garde ; vous me promettez de ne pas entrer dans ce bois dangereux ? »
Les trois enfants répondent ensemble :
« Oh ! oui, maman. »
La mère ajoute :
« Isaure, toi qui es la plus grande, je te recommande de veiller sur ton frère et ta sœur.
— Oh! oui, maman.
— Allez, et ne soyez pas longtemps.
— Oh! non, maman. »
Tous les enfants disent toujours : Oh ! oui, maman ; oh! non, maman ; mais ils sont disposés à désobéir. Ceux-ci firent comme les autres. Ils virent, de loin, le bois rempli de fraises et de roses de haie.
« Oh ! les bonnes fraises ! dit Isaure.
— Oh ! les belles roses ! s'écria Suzette.
— Moi, dit Charlot, je ne suis pas pour les roses, mais pour les fraises. »
Isaure avait dix ans, Chariot neuf, et Suzette huit ; ils étaient bien jeunes et gourmands, ah !

Ils entrent dans le bois ; ils cueillent, ils mangent ; et, comme l'appétit vient en mangeant, ils s'enfoncent sans s'en apercevoir dans l'épaisseur du bois. Un géant leur apparaît, un géant d'au moins quarante pieds de haut, vêtu de feuillages, et portant une longue massue faite d'un chêne tout entier.
Nos enfants jettent un cri et veulent fuir ; mais le géant, qui parcourt vingt pieds par chaque pas qu'il fait, les a bientôt attrappés.
« Je suis friand de petits enfants, dit-il d'une voix de tonnerre ; en voilà trois, c'est bon, ce sera pour mon dîner et mon souper. »
En disant cela, il prend les trois enfants dans une main, les couvre de l'autre, comme s'il les mettait dans une boîte, et les emporte dans son antre, où il les enferme.

Tandis que Suzette se contente de pleurer amèrement, sa sœur Isaure et le petit Charlot font mille reproches au géant, lui disent cent sottises, et le menacent de le mordre, de l'égratigner, s'il ose les approcher.
« Crois-tu que tu nous auras comme cela ? dit Charlot ; vilain borgne ! » (Le géant n'avait qu'un œil.)
Charlot prend un couteau de trois pieds de long qu'il trouve sur une table ; Isaure s'empare d'une paire de ciseaux de la même taille, et tous deux se préparent à une défense opiniâtre.
Le géant leur dit, en écumant de colère : « Vous allez voir, petits vermisseaux, si le géant Périférigérilérimini a peur de vous ! »
Il les prend, leur coupe le cou, les déshabille et les met sur le gril.
Pendant qu'ils cuisent, Suzette, mourant de peur, dit en feignant de sourire :
« Oh ! monsieur le géant, j'espère bien que vous ne m'en ferez pas autant qu'à mon frère et à ma sœur ? LE GÉANT. Tout autant, petite. Je vais dîner avec eux ; et, comme je mange peu le soir, je te servirai pour mon souper.
SUZETTE. Oh ! vous n'auriez pas cette barbarie.
LE GÉANT. Pourquoi ?
SUZETTE. C'est que je suis douce, moi ; je ne dis pas de sottises à personne, et je trouve tout naturel qu'un seigneur tel que vous, qui aime la chair fraîche des petits enfants, s'en régale, surtout quand ils ont mérité de mourir pour avoir désobéi à leur maman.
LE GÉANT. Ah ! vous avez désobéi !
SUZETTE. Moi, un peu moins que mon frère et ma sœur. Je leur disais sans cesse : Prenez garde, vous pouvez être pris par le grand, le puissant, le très-haut seigneur Périférigérilérimini. Il peut être indulgent pour l'enfance timide, douce, modeste ; mais si vous lui manquez, si vous l'insultez, il vous croquera, et il fera bien.
LE GÉANT, à part. Hom ! cette petite fille est très-polie, très-honnête. (Haut.) Tu n'as donc pas peur de moi ?
SUZETTE. Pas la moindre peur. Eh ! pourquoi me mangeriez-vous ? Je ne vous ai fait aucun mal. Je n'ai pas pris des couteaux, des ciseaux, pour vous opposer une défense aussi ridicule qu'inutile ; et, quand vous me croqueriez, vous n'en seriez guère plus gras.
LE GÉANT, à part. Elle a de l'esprit. (Haut.) Mais si c'est mon goût de manger les petits enfants ?.
SUZETTE. Mangez ceux qui sont méchants ; vous n'en manquerez pas, il y en a tant ! Vous ne serez embarrassé que de savoir à quelle sauce les mettre.
LE GÉANT. Oh ! je les fais rôtir ; c'est meilleur.
SUZETTE. Je le crois ; cela doit être tout à fait friand. Moi, je vous ferais un triste ragoût, je vous l'assure.
LE GÉANT. Pourquoi ?
SUZETTE. Je suis fade.
LE GÉANT. Non.
SUZETTE. Dure.
LE GÉANT. Point.
SUZETTE. Coriace.
LE GÉANT. Je n'en crois rien ; mais quoi qu'il en soit, tu t'y prends de manière à me désarmer; ta voix est si douce, avec cela !
SUZETTE. Voulez-vous que je vous chante une petite chanson ?
LE GÉANT. Volontiers ; je ne suis pas du tout ennemi de la joie, moi. »

Suzette lui chante deux couplets avec une grâce, un charme qui font sourire le barbare anthropophage. Quand elle a fini, il lui dit :
« C'est très-bien, mon enfant ; la chanson est jolie et tu la chantes à merveille. Mais je ne reviens pas de ma surprise. Tout ce que tu dis, tout ce que tu fais, me prouve que je ne t'inspire réellement aucune terreur.
SUZETTE. Aucune. On peut contenter des goûts particuliers ; on peut être gourmand, friand, sans avoir pour cela un mauvais cœur, sans renoncer à la douceur de se montrer, parfois, humain, sensible, généreux et bienfaisant.
LE GÉANT. Tu as raison, ma jolie petite, et, pour t'en donner une preuve, je te rends la liberté. Sauve-toi, cours, et surtout garde-toi de rester longtemps dans ce bois ; car tantôt, si mon appétit me revenait, je ne répondrais pas... Va-t'en !
SUZETTE. Grand merci, monsieur le géant ! »

Le géant Périférigérilérimini ouvre sa porte à Suzette, qui se sauve et a grand soin de ne pas regarder derrière elle, jusqu'à ce qu'elle soit chez sa mère.
Je ne vous peins point le désespoir de cette tendre mère, en apprenant la mort de deux de ses enfants.

MORALITÉ

Mon but a été de vous prouver seulement que, lorsqu'on est au pouvoir de plus fort que soi, la plainte, la violence, la menace nuisent plus qu'elles ne servent.
Il y a toujours un moyen d'attendrir l'être le plus barbare. La résistance d'Isaure et de Charlot a courroucé le géant Périférigérilérimini; l'esprit et la douceur de Suzette ont vaincu sa férocité.