La colombe et la fourmi

par Jean de La Fontaine

L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.
Le long d’un clair ruisseau buvait une Colombe,
quand, sur l’eau se penchant, une fourmis y tombe :
et dans cet océan on eût vu la fourmi
s’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité :
un brin d’herbe dans l'eau par elle étant jeté,
ce fut un promontoire oĂą la fourmi arrive.
Elle se sauve. Et lĂ -dessus
passe un certain croquant qui marchait les pieds nus :
ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus,
il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,
la fourmi le pique au talon.
Le vilain retourne la tĂŞte :
la colombe l’entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s’envole :
point de pigeon pour une obole.