Le loup et l'agneau

par Jean de La Fontaine

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un agneau se désaltérait
dans le courant d’une onde pure.
Un loup survient Ă  jeun, qui cherchait aventure,
et que la faim en ces lieux attirait.
— Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
dit cet animal plein de rage :
tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l’agneau, que votre majesté
ne se mette pas en colère ;
mais plutôt qu’elle considère
que je me vas désaltérant
dans le courant,
plus de vingt pas au-dessous d’elle ;
et que, par conséquent, en aucune façon,
je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles ! reprit cette bête cruelle ;
et je sais que de moi tu médis l’an passé.
— Comment l'aurais-je fait, si je n’étais pas né ?
reprit l’agneau ; je tette encor ma mère.
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point. — C’est donc quelqu’un des tiens :
car vous ne m'épargnez guère,
vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
LĂ -dessus, au fond des forĂŞts
le loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.